Rapport d’étonnement du lundi 23 mars – Julie de Muer

Retrouvailles avec l’hôpital. La journée commence bien, je trouve une place tout de suite, près de la « zone prestige », ce qui tombe bien car nous trimballons avec nous notre petit atelier ambulant.

Je ne peux m’empêcher de jeter un regard sur la nature printanière. A Marseille la végétation du printemps est urbaine et exhubérante. C’est le moment où les bords de routes et terrains vagues colorent la ville en rouge (coquelicots) et jaune (pissenlits), où le chaos et les zones deviennent nappes et douceurs chatoyantes. Je m’approche d’un coin d’herbes sauvages à quelques mètres des voitures : asperges sauvages, blettes, poireaux, la colline se transforme en garde manger, la journée commence très bien…

Nous entrons dans le Pavillon Mistral, dans le hall pour la première fois je vois le local de l’ancien ERI ouvert, Gaétan et Zofia nous y attendent avec les prototypes imaginés suite à la première semaine d’immersion. Nous avons donc un espace permanent directement ouvert sur le hall. La journée se commence très très très bien, c’est louche. En fait elle avait plutôt mal commencé avec les résultats désespérants des élections départementales. Vous allez me dire que ce n’est pas le sujet, mais si, car il s’agit là tout de même de services publics, de vivre ensemble, de connexions entre des échelles, des gens, des fonctions. La France a mal à son hospitalité, elle ne s’accueille plus elle-même.

On déballe, on installe, on s‘étale.

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Les agents de l’accueil arrivent pour une petite présentation du test de la banquette mobile de lecture. Nous leur expliquons le principe, partageons les questions, proposons une participation. Et là je m’étonne du bon accueil, à fois simple, presque évident, et vif (les idées fusent…). Ce sont des personnes présentes, pensantes, quand derrière les vitres elles semblent être avant tout une fonction et une catégorie.

Bien plus tard dans la journée se reposera à propos de la signalétique la question de la présence humaine dans l’accueil et l’orientation. Remettre du geste, renverser les rôles pour aller vers… La vitre, le box sont défendus, désirés car ils correspondent à l’idée de la sécurité. Quand le corps et la rencontre réapparaissent que se passe t-il, que ce passerait-il ? Pouvons-nous allez jusqu’à proposer ce genre d’expérience : pour une journée sortir du box et venir accueillir dans l’espace ouvert ? Devenir « orienteur » ? Hôpital Mode d’Emploi sera le nouveau nom de code de ce futur prototype.

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Mais là il est encore midi.

Quelques minutes pour rencontre l’aumônier bouddhiste, par ailleurs chirurgien. Un praticien du corps « technique » qui accompagne le corps spirituel, depuis que je connais son existence je suis intriguée par cet homme là. Un peu intimidée je lui parle de l’idée d’un hôpital envisagé comme un lieu culturel, un lieu relié à son environnement, à son histoire, aux histoires de ceux qu’il accueille et de ceux qui l’anime. Nous parlons de la place de l’expression et de l’émotion dans le soin, de la nécessité de leur laisser une place dans ce grand corpus technique qui semble parfois ne plus savoir quoi faire des corps et des âmes en dehors des espaces et temps où il les « répare ».

Nous nous redonnons rendez-vous pour le jeudi.

Je rejoins Gaétan à la bibliothèque qui explique la banquette de lecture mobile que nous allons tester cette semaine. Seule pratique culturelle proposée au sein de l’hôpital, elle est ouverte 2 jours par semaine et une vingtaine de bénévoles irriguent à coup de chariots roulants les services de livres et de magazines. L’ambiance est bonne, toutes les 3 minutes quelqu’un apparaît l’air de bonne humeur principalement pour rendre les livres empruntés par les patients. Petite discussion qui souvent comprend « oh mais moi non, je ne lis pas tu sais ».

Plus tard je comprendrai que la bénévole avec qui je discute propose systématiquement au personnel soignant de prendre un livre, à la fois pour inciter la personne mais aussi pour inciter la fonction. Il semblerait qu’on ne lit plus beaucoup dans le corps soignant et que c’est embêtant. C’est embêtant bien sur car ça entérine les discours sur la perte des lecteurs mais là c’est vraiment embêtant pour une bibliothèque d’hôpital parce qu’ils sont les premiers prescripteurs, les premiers à pouvoir encourager un patient qui s’ennuie et qui déprime à s’aider par la lecture. Comment trouver des points de rencontres et d’échanges avec les médecins ? Où poser la question de la pratique culturelle comme pouvant faire partie du soin ? Ca cogite à la bibliothèque…

Un couple arrive avec trois sacs bourrés de livres comme neufs. L’un d’entre eux a été patient, ils viennent donner de la lecture. Il paraît que tous les jours des gens viennent ainsi apporter des livres. La position de la bibliothèque semble néanmoins fragile. Une ouverture assez faible au regard du besoin et de l’appétance des patients lecteurs, un développement sans moyen et sans espace qui fait que d’une mission de médiathèque elle se limite encore au papier et n’a même pas pu mettre en ligne son catalogue et son service de réservation en ligne. Mais c’est un endroit joyeux et si il y a quelque chose qu’on ressent souvent à l’Hôpital nord en ce baladant chez les uns et chez les autres, c’est une forme de jovialité, presque de la joie, et ça c’est une belle émotion dans un hôpital…